mercredi 21 décembre 2011

12. Vu dans l’eau : tentative d’assèchement de la flaque

l'éternel détour (3) 

1.a
alors pourquoi, dès lors qu'au lieu de ciel et de nuages, dès qu'au lieu d'une flaque d'eau il s'agit d'écriture, de mots dissous dans le langage qui s'organisent et apparaissent, dans une relative et brève autonomie, sous la forme d'un texte, et puis s'en retournent au vaste langage, réapparaissent, à la fois mêmes et différents, ordonnés comme ci ou comme ça dans un texte nouveau, un nouveau contexte un autre prétexte, quand à la place d'une flaque il est question d'un texte, pourquoi trouve-t-on nécessairement une intention qui le précède, un sujet en amont à qui en reviendrait tout le mérite (ou bien, c'est la même chose, à qui on adressera tous les reproches), pourquoi arbitrairement s'arrête-t-on à telle phase du cycle et basta, adieu mouvement, finie la part belle au hasard autant qu'à la nécessité.



1.b
Il y avait à Athènes une loi qui séparait l'homme de l'opinion qu'il annonçait, et l'auteur de l'ouvrage qu'il publiait.
Portefeuille du marquis de Sade, 1° cahier





2.a
On connaît la plupart des choses en premier lieu par le langage -via parents, proches, amis, école, lecture...-, et même, le plus souvent, exclusivement par le langage, pour la raison que certaines choses nous sont inaccessibles à jamais, trop lointaines dans l'espace, dans le temps, distantes de nos centres d'intérêt, partie d'un domaine si particulier, rare ou pointu, qu'il nous demeurera étranger, les choses en question échappant pour le coup à notre expérience. 


Ainsi peut-on, sensible à la rumeur, par ouï-dire, être machinalement convaincu de l'existence des acossoldahors, des Macrosiens, des échomes et des rabassaires, ou plus simplement des pithécanthropes, voire des listeria ou des rats palmistes, sans de quelque manière que ce soit les avoir approchés ou sentis, on peut savoir le mot sans jamais voir la chose.

 

Du réel chaotique et diffus le langage est le double ordonné. Chargeant la chose d'un sens, le monde d'une structure intelligible, les mots en parallèle viennent rassurer, pareils à des panneaux routiers dans le désert, des balises Argos dans la jungle. Leur mission : donner l'impression d'un contrôle sur un monde qui nous est inconnu.


Le langage est une représentation du monde dans un rapport à la réalité difficile à évaluer. Un regard qui apprivoise les choses en s'en écartant plus ou moins, les anticipe à notre goût, tantôt les affadit pour nous les rendre assimilables, tantôt en fait de redoutables tigres de papier, histoire de jouer à nous faire peur, toujours les crée telles qu'elles n'existeront jamais, écran de fumée, voile de Māyā, notre univers est celui-là, représentation d'un modèle ignoré, modélisation de l'énigme.



On ne voit les choses qu'à travers les mots, à travers le prisme du langage.
Les choses habituellement ne nous répondent et n'apparaissent que telles qu'on les a appelées. 
Ainsi la flaque.




2.b
L'argot vient doubler un langage qui lui-même doublait le réel. Il accentue encore le trait, caricature.

Comme si le mot flaque et son étymologie flasque étaient insuffisants à l'enfoncer, il vient la mettre une deuxième fois plus bas que terre : en argot, flaquer veut dire faire, déféquer, chier.

La flaque est infâme au sens le plus ancien, basse et vile, infâme au sens strict, qui a une mauvaise réputation.

Avant d'être vue la flaque est mal vue.

Ils rencontrent une flaque d'eau glacée : "Tiens, dit Plock, on dirait que c'est solide… et que ça peut me porter."


5 commentaires:

  1. Sous la flaque : la plage.

    Un amateur d'OGM

    RépondreSupprimer
  2. OGM : Organizer Gentile Mediterranean (club) ?

    RépondreSupprimer
  3. Très joliment dit tout cela !

    J'ajoute ceci au cas où vous l'ignoriez :

    Adjectif Invariable flaque /flak/ masculin et féminin identiques

    (Argot) Net, dans le sens de propre ; en bon état, dans une bonne condition, irréprochable.
    Je vends ma bagnole, elle est flaque, tu veux l’acheter ?

    (source Wiktionnaire)

    RépondreSupprimer
  4. "... donner l'impression d'un contrôle sur un monde qui nous est inconnu."

    Mais nous ne méconnaissons pas l'illusion, à la fois de l'impression, du contrôle et du monde. Et nous sommes perdus.
    C'est peut-être pour nous y retrouver - autre illusion - que nous écrivons et faisons toute chose.
    Je me demande parfois si le camion que nous nommons ne serait pas mieux dit par cheval, hippopotame, chaise ou arbre...
    :)

    RépondreSupprimer
  5. @ Cédric : j'ai appris ça il y a peu, d'une autre source. Merci de me donner celle-là.

    @ Jean : Je prévoyais de me demander bientôt dans un billet si la flaque aurait pu s'appeler cheval, alors voyez...

    RépondreSupprimer