lundi 26 décembre 2011

14. Vu dans l’eau : tentative d’assèchement de la flaque


transition 2 : de l'histoire déjà ancienne du ciel et de la flaque... 


1.
Iamque rubrum tremulis iubar ignibus erigere alte
Cum coeptat natura supraque extollere montes,
Quos tibi tum supra sol montis esse uidetur
Comminus ipse suo contingens feruidus igni,
Vix absunt nobis missus bis mille sagittae,
Vix etiam cursus quingentos saepe ueruti ;
Inter eos solemque iacent immania ponti
Aequora substrata aetheriis ingentibus oris,
Interiectaque sunt terrarum milia multa,
Quae uariae retinent gentes et saecla ferarum.
At coniectus aquae digitum non altior unum,
Qui lapides inter sistit per strata uiarum,
Despectum praebet sub terras inpete tanto,
A terris quantum caeli patet altus hiatus,
Nubila despicere et caelum ut uideare uidere, [et]
Corpora mirande sub terras abdita caelo.

Titi Lucretii Cari, De rerum natura –IV

2.
Quand la nature érige, au-dessus des montagnes,
L'aurorale rougeur de l'astre aux feux tremblants,
Que le soleil, là-haut, semble si proche d'elles,
Jusqu'à les imprégner des flammes dont il bout,
Ces monts ne sont qu'à deux mille traits d'arc de nous,
Ou souvent même à peine à cinq cents jets de lance.
Entre eux et le soleil s'étend la vaste mer,
S'étalant sous l'éther aux immenses rivages ;
Des milliers de pays entrecoupent la mer,
Pleins de peuples divers et d'animaux sauvages.
Mais une flaque d'eau, d'un doigt de profondeur,
Qu'enferment les pavés d'une route de pierre,
Fait plonger le regard aussi loin sous la terre
Que le gouffre est profond du ciel jusqu'à la terre,
Et l'on croit voir en bas les nuages, le ciel,
Les astres enfouis, ô merveille ! sous terre.

Lucrèce, De rerum natura -livre IV (traduction Ariel Suhamy)


3.
Rouge, voici déjà le disque aux feux tremblants
que la nature lance jusqu'en haut des montagnes :
ces monts que le soleil te sembla alors toucher
et lui-même embraser de ses flammes ardentes
se dressent tout au plus à deux mille flèches de nous,
souvent même à cinq cents jets de javelot, tout au plus;
entre eux et le soleil, sous les vastes rives du ciel
s'étendent les plaines immenses de la mer,
les milliers de terre peuplées d'hommes et d'animaux divers.
Mais une flaque d'eau pas plus haute qu'un doigt
logée dans l'interstice des pavés du chemin
ouvre sous terre une perspective aussi vaste
que l'abîme du ciel au-dessus de la terre,
et tu crois voir à tes pieds le ciel, les nuages,
les astres miraculeusement enfouis dans le sol.

Lucrèce, De rerum natura -livre IV (traduction José Kany-Turpin)



4. 
De la nature aqueuse de l'illusion

4.a La partie du Livre IV d'où sont tirés ces vers est intitulée, dans le premier cas, Catalogue des illusions, dans le deuxième Illusions visuelles.


4.b en vertu du principe de Pierre de Fermat 
La ligne droite ici n'a plus cours, alanguie sous le soleil, coulante au plus haut degré, l'arabesque est au désert le plus court chemin du rêve au désir, ce bleu dans la fournaise un rayon dévoyé, cette oasis proche un pan de ciel tombé par terre. 
Le mirage est la version aqueuse de l'espoir, l'illusion de l'assoiffé.

4.c selon la loi de Snell-Descartes
Molle, trouble, informe, ordinaire, à ras de terre et rehaussée d'un pan de ciel, la flaque est l'illusion réalisée, l'illusion plus ou moins réussie.

4.d en guise d'application des règles d'inférence
Se perdre dans le ciel de la flaque : prendre la réalité pour ses illusions.


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